Une nouvelle génération de technologies de cartographie biologique change radicalement la façon dont nous comprenons et traitons les maladies mortelles. Les chercheurs sont désormais en mesure d’étudier les tissus humains avec des détails sans précédent, d’identifier les cellules défectueuses au sein des organes et de révéler les mécanismes moléculaires à l’origine de maladies auparavant considérées comme incurables. Cette avancée, connue sous le nom de multiomique spatiale, ne consiste pas seulement à affiner les traitements existants ; cela ouvre la porte à des thérapies entièrement nouvelles, en particulier pour des affections telles que la nécrolyse épidermique toxique (NET), une réaction cutanée grave au cours de laquelle les patients perdent littéralement leur couche externe.
Le défi de la complexité
Pendant des décennies, la médecine a abordé la maladie en se concentrant sur les organes, les tissus, les cellules et enfin les molécules sous-jacentes comme l’ADN et les protéines. Cependant, cette approche réductionniste passe souvent à côté de détails cruciaux. Même au sein d’un même organe, les cellules ne sont pas uniformes ; les cellules voisines peuvent se comporter différemment, créant des dommages en cascade que les outils de laboratoire standards ont du mal à résoudre. Les méthodes traditionnelles « mélangent » souvent des centaines de cellules à des fins d’analyse, masquant ainsi les changements critiques qui se produisent au niveau individuel.
Cette complexité est particulièrement aiguë dans le domaine du cancer, où les chercheurs comprennent depuis longtemps le « microenvironnement tumoral » – l’idée selon laquelle même sous un microscope, une tumeur n’est pas uniforme. Mais les outils standards ont du mal à identifier ces différences.
L’essor de la multiomique spatiale
La clé pour découvrir ces détails cachés réside dans la multiomique spatiale, une suite de technologies qui construisent des cartes tridimensionnelles des tissus et des organes. Ces cartes identifient les cellules malades et les profilent au niveau moléculaire, révélant exactement ce qui ne va pas dans leur machinerie biologique.
Le terme « multiomique » fait référence à l’étude simultanée de plusieurs systèmes biologiques : gènes, ARN, protéines, etc. La multiomique spatiale ajoute à ce mélange une imagerie haute résolution, permettant aux scientifiques de voir non seulement quelles molécules sont présentes, mais où elles se trouvent et comment elles interagissent dans l’espace.
Une technique, la « protéomique visuelle profonde », développée par des chercheurs de l’Université de Copenhague, consiste à découper des tissus en coupes microscopiques, à les colorer pour mettre en évidence des molécules spécifiques, puis à utiliser des microscopes alimentés par l’IA pour créer des cartes numériques détaillées. Un microscope de dissection laser découpe ensuite les cellules marquées une par une, analysant leurs protéines avec une extrême précision grâce à la spectrométrie de masse. Le résultat est une carte moléculaire qui révèle les différences entre les cellules saines et anormales, des schémas de dysfonctionnement qui étaient auparavant invisibles.
Du cancer du pancréas au TEN : applications concrètes
Le potentiel de la multiomique spatiale s’étend bien au-delà de la recherche théorique. Des études ont déjà fourni des informations cruciales sur des pathologies telles que le cancer du pancréas, où les chercheurs ont utilisé cette technologie pour identifier les premiers signes de développement de tumeurs dans des cellules apparemment normales.
Cependant, la percée la plus spectaculaire a eu lieu dans le traitement de la nécrolyse épidermique toxique (NET), une affection cutanée rare mais mortelle dans laquelle le système immunitaire attaque violemment la couche externe de la peau. L’équipe du dermatologue Thierry Nordmann a utilisé la protéomique spatiale pour découvrir que la voie de l’interféron, normalement activée par les infections virales, était massivement hyperactive chez les patients TEN, provoquant la destruction des cellules cutanées saines par le système immunitaire.
Il existe déjà des médicaments qui bloquent cette voie. Dans un petit essai, sept patients TEN traités avec ces inhibiteurs ont montré une guérison remarquable, un patient ayant retrouvé presque toute sa peau perdue en 16 jours. Nordmann estime que cela pourrait devenir le traitement standard d’ici deux à trois ans.
L’avenir de la médecine de précision
La multiomique spatiale n’est pas bon marché ; L’analyse de quelques centaines d’échantillons peut coûter des millions. Mais les hôpitaux, comme la clinique Mayo, investissent déjà massivement dans cette technologie, dans l’espoir de mieux comprendre des maladies comme les maladies cardiaques et le diabète en identifiant les cellules les plus vulnérables aux dommages.
Les implications sont profondes : la multiomique spatiale ne consiste pas seulement à affiner les traitements existants ; cela ouvre la voie à une nouvelle ère de médecine de précision, où les thérapies sont adaptées au paysage moléculaire unique de la maladie de chaque patient. La capacité de cartographier et de comprendre le fonctionnement interne de notre corps à ce niveau remodèlera la façon dont nous diagnostiquons, traitons et, finalement, prévenons les maladies potentiellement mortelles.
